Partagez l’article

« Making Europe Great Again » : le retour en force de la value en 2025 ?

Après des années de retard sur Wall Street, les actions européennes ont repris de l’élan en 2025. À la clé, une interrogation centrale pour les investisseurs : assiste-t-on à un vrai changement de régime en faveur des valeurs « value » (banques, industrielles, matériaux, défense), ou seulement à un rebond cyclique ? Les arguments s’accumulent en faveur d’un scénario plus durable, même si les risques restent bien identifiés.

Un renversement de narration : décote persistante, flux qui reviennent, impulsion politique
Le début de l’année 2025 a pris à revers le consensus. Longtemps pénalisées par une croissance atone, des doutes budgétaires et une visibilité politique limitée, les Bourses européennes ont retrouvé des couleurs et, par séquences, devancé les marchés américains. Ce regain ne sort pas de nulle part : la décote structurelle de l’Europe par rapport aux États-Unis demeure marquée (ratios de valorisation plus bas, rendements du dividende plus élevés), et la normalisation monétaire ouvre un espace de rerating pour les secteurs cycliques.
 

Sur le terrain macro, la réouverture budgétaire ciblée – infrastructures, transition énergétique, dépenses de défense – fait émerger une demande publique susceptible d’irriguer l’économie réelle. L’Allemagne a signalé un changement de cap en matière d’investissement, tandis que l’Union européenne a posé les jalons d’un cadre financier plus offensif sur la sécurité et l’industrie. Par ricochet, cela réactive les chaînes de valeur industrielles et profite mécaniquement aux segments délaissés de la cote.
 

En face, les États-Unis affrontent un environnement plus contrasté : croissance encore robuste mais incertitudes commerciales accrues, déficit fédéral élevé et mesures ponctuelles de relance pouvant nourrir des poches de survalorisation sur certains segments de croissance. Le différentiel de perception joue donc à plein : quand l’exceptionnalisme américain paraît moins évident, l’Europe redevient « investissable » et attire de nouveaux flux.
 

Dans ce contexte, l’analyse proposée par Richard Halle (M&G Investments) met le projecteur sur une classe d’actifs souvent boudée au cours de la décennie précédente : les valeurs « value ». Celles-ci ont pâti de la prime massive accordée aux valeurs de croissance durant l’ère des taux zéro. La remontée des taux, puis leur stabilisation, rebattent les cartes : le coût du capital réévalue le prix des cash-flows lointains et redonne un avantage compétitif aux modèles à bilans solides, dividendes récurrents et valorisations raisonnables.

Value : les poches de potentiel… et la check-list des risques
Trois blocs se dégagent parmi les gagnants potentiels.
1. Défense et sécurité. Le réarmement européen n’est plus une hypothèse mais une trajectoire pluriannuelle. Outre les maîtres d’œuvre, c’est toute une filière industrielle (électronique, logiciels embarqués, matériaux, propulsion, spatial) qui peut bénéficier d’effets multiplicateurs. L’historique de sous-investissement crée un rattrapage de carnet de commandes et de marges.
 

2. Banques et financières. Dans un monde où les taux réels cessent d’être négatifs, les marges d’intermédiation restent mieux orientées. La qualité de capital s’est renforcée depuis la crise financière, la discipline de coûts s’améliore, et la normalisation du coût du risque reste gérable. Le secteur conserve néanmoins une sensibilité à la conjoncture et aux régulations.
 

3. Industrie & matériaux. Si les États accélèrent sur les infrastructures, la transition énergétique et la réindustrialisation, les donneurs d’ordres européens (machines-outils, biens d’équipement, chimie de spécialités, matériaux) se retrouvent en première ligne. Les chaînes d’approvisionnement plus courtes et la sobriété énergétique deviennent des avantages compétitifs pour des acteurs historiquement exportateurs.
 

Pour autant, la thèse value n’est pas un « no-brainer ». Quatre risques clés doivent rester sur le radar :
• Commerce international : la montée des barrières tarifaires perturbe les flux et peut peser sur les exportateurs européens.
• Surcapacités chinoises : sans filet réglementaire crédible, l’afflux de produits à bas coût peut déprimer les prix en Europe, en particulier dans l’automobile électrique, l’acier et certaines chimies.
• Géopolitique et énergie : une remontée brutale des prix de l’énergie rognerait les marges industrielles et la consommation.
• Cycle des taux : une inflation récalcitrante repousserait l’assouplissement monétaire et réduirait la visibilité sur les multiples.
 

Conséquence : la sélection de titres redevient déterminante. L’approche « value piégée » (faible multiple mais baisse structurelle du ROCE, gouvernance fragile, exposition à des marchés en décroissance) doit être évitée. À l’inverse, la value de qualité conjugue : bilans robustes, pricing power démontrable, visibilité sur les carnets, retours aux actionnaires disciplinés (dividendes, rachats opportunistes), et exposition à des thèmes porteurs (défense, transition, automatisation).
 

Sur le plan portefeuille, plusieurs principes de construction s’imposent :
• Combiner des cycliques « haute visibilité » (défense, sous-traitance industrielle sélective) et des financières bien capitalisées, avec un noyau défensif (santé, conso de base) pour amortir les chocs ;
• Diversifier l’exposition géographique au sein de l’Europe (cœurs industriels Allemagne/Italie, poches de croissance en Europe du Nord, valeurs de rendement au Royaume-Uni) ;
• Surveiller les bilans (leviers modérés, maturités de dette lissées) et la discipline d’allocation du capital (CAPEX/OPA/retours actionnaires) ;
• Rester attentif aux catalyseurs : budgets publics votés, trajectoires de commandes, signaux de relance du crédit, calendrier monétaire.
 

Au total, 2025 marque moins un coup d’éclat qu’un rééquilibrage : l’Europe cesse d’être « à la traîne » et les segments value retrouvent une raison d’être dans l’allocation. Si la macro restaure un plancher de visibilité (désinflation, investissements publics, détente graduelle des taux), la micro – marges, productivité, gouvernance – fera l’essentiel de la performance relative. C’est dans cette articulation que se joue, concrètement, la promesse d’un « Making Europe Great Again » boursier.
Source : note de marché et analyse de Richard Halle, gérant actions value européennes, M&G Investments (été 2025).
 


Sur le même sujet...

Livret A : 1,7 %, un taux qui séduit les épargnants français
PER : l’option de réversion, un choix stratégique pour protéger ses proches